Entretien avec Anthony Arnold, cuisinier à la MAS Marie-Louise
Les établissements de santé et médico-sociaux accueillent une population hétérogène présentant de multiples pathologies, nécessitant des textures adaptées, voire des régimes particuliers. Encore aujourd’hui stigmatisés, les repas à texture modifiée représentent un défi pour les équipes de cuisine. Défi relevé par bon nombre de cuisiniers impliqués qui ont à cœur de proposer des plats aussi beaux que bons et nutritifs. Reste à valoriser leur travail qui malgré les multiples contraintes (temps, budget, hygiène, techniques, organisation…) prouve que cela est possible.
Anthony Arnold, cuisinier, après une longue expérience dans un restaurant gastronomique a choisi de s’orienter vers la restauration collective, au sein de la MAS Marie-Louise (Maison d’Accueil Spécialisée pour polyhandicapés).
Très impliqué et motivé par la fonction nourricière primordiale dans son métier, il a contacté le CERIN pour partager son expérience et démontrer qu’il était possible de satisfaire les convives en concoctant des plats mixés alléchants et riches en goût.
Le passage du restaurant gastronomique à la collectivité au sein d’une MAS vous a-t-il posé des difficultés ?
Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien aux textures modifiées. La cuisine était équipée de l’essentiel. Progressivement j’ai juste dû acheter du petit matériel, comme des poches à douille ou des verrines car c’était fondamental pour moi de « sortir » de belles assiettes. Nous servons à chaque repas 25 mixés, 20 écrasés et 10 textures lisses. Nous avons un code couleur avec les assiettes pour identifier la texture. Cela demande du travail, surtout au départ, mais une fois l’habitude prise cela va tout seul. Et faire des efforts pour rendre les plats appétissants est toujours une source de satisfaction et de motivation, ça a d’ailleurs redonné de l’envie à mon binôme cuisinier qui travaillait là depuis 25 ans. Pour ce qui me concerne, je m’éclate bien à travailler dans ces conditions.
Quels plats vous donnent des difficultés, quelles sont vos astuces ?
La « peau » qu’il y a autour des lentilles reste après passage au mixeur. Du coup on les passe dans le chinois pour que ce soit vraiment lisse. [Note : Astuce pour les lentilles, utiliser des lentilles corail, dépourvues de « peau ».]
Les steaks hachés laissent aussi des granules de gras et de cartilage ; et le passage au chinois est compliqué. J’utilise des ingrédients « facilitateurs ». Quand je mixe la viande, j’ajoute du lait chauffé à feu doux par exemple.
Pour ce qui est du fromage, je le mixe avec du lait froid et je le dresse en verrine. Je ne sers pas systématiquement des fromages fondus. J’utilise du rocamadour et toutes sortes de pâtes molles. On peut laisser la peau pour certains, comme le camembert, on retire la peau pour d’autres comme le Saint Nectaire ou la tome.
Pour certaines crudités difficiles à mixer (carottes, chou rouge, …), on utilise une centrifugeuse. Le poireau ou le céleri, en revanche, se mixent bien avec de la vinaigrette.
Pour servir des sardines au citron, je les mixe, détendues avec un peu de lait, j’y incorpore de la crème fraîche préalablement montée, sel, poivre et je dresse en verrine.
Le dressage est-il important ?
Le montage des assiettes est le plus long. L’idée générale est d’imiter le plus possible une dressage « normal ». Au départ, les légumes et la viande étaient mixés ensemble. L’une des premières mesures que j’ai prises quand je suis arrivé c’est de les séparer. Ensuite, nous avons fait des présentations simples, à l’aide d’une poche à douille. Et petit à petit nous nous sommes améliorés. Je goûte toujours évidemment ce que je prépare. Malheureusement, tout le monde ne le fait pas, mais il faudrait. Dans ces conditions, le mixé est tout à fait appétissant et savoureux.
Comment faîtes-vous pour les repas de fêtes ?
On propose 6 repas à thèmes par an. Pour le thème des États-Unis, nous avons proposé des hamburgers. J’ai mixé chaque ingrédient séparément : le pain, trempé dans du lait chaud, le steak haché, les oignons et les cornichons. Et ensuite j’ai reproduit le hamburger dans l’assiette, couche par couche : une couche de pain, une tranche de cheddar (qui fond à la cuisson), trois points d’oignons et cornichons, la viande, à nouveau un fromage et enfin une dernière couche de pain ; le tout à la poche à douille. Les frites étaient servies à côté, également mixées avec du lait.
Nous ne ratons par un anniversaire et faisons toujours un gâteau. Ma spécialité est le Gâteau Princesse, que je faisais lorsque j’étais en restauration gastronomique. C’est un gâteau mousseux, à base de crème pâtissière et de blanc en neige montés, j’y incorpore des oreillons de pêche mixés, et je coule l’ensemble sur une génoise en les laissant prendre avec de la gélatine. Ensuite c’est mixé dans le service pour les résidents qui en ont besoin.
Avez-vous envie de transmettre votre expérience ?
Je donne des formations dans lesquelles je sers un repas entièrement mixé, j’y diffuse d’ailleurs un petit film sur le dressage que j’ai fait. Les « stagiaires » apprécient et mangent tout sans en laisser… Par contre, ce qui est déstabilisant quand on prend tout un repas mixé, c’est que l’on mange en un quart d’heure !
Aujourd’hui, je ne regrette pas cette évolution vers la collectivité. Cuisiner et satisfaire des personnes polyhandicapées a du sens. Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter.