Dans le Nord de la France, les femmes obèses des milieux ouvriers fondent largement leurs espoirs de perte de poids sur la chirurgie bariatrique ou les régimes très restrictifs. Un troisième type de conception existe toutefois, qui refuse les privations alimentaires.Anne Lhuissier, sociologue, a mené une étude qualitative sur les spécificités des techniques d’amaigrissement chez les femmes obèses qui appartiennent au milieu ouvrier. A l’occasion d’un programme d’éducation alimentaire auprès de femmes obèses, elle a assisté à des ateliers d’éducation nutritionnelle en groupe et a ensuite procédé à 19 entretiens individuels. D’après elle, les femmes de milieu ouvrier pourraient être divisées en trois groupes selon leur conception de la perte de poids :
« Techniques physiques qui agissent sur le corps » : depuis les pilules miracles jusqu’aux interventions chirurgicales.
Globalement il s’agissait des femmes à l’IMC le plus élevé et dans la situation économique la plus précaire (aides sociales). Elles avaient essayé de nombreux régimes alimentaires, les crèmes amincissantes, l’acupuncture, l’homéopathie. Elles avaient en commun de n’envisager comme solution à leur problème de poids qu’une intervention chirurgicale (type anneau gastrique) ou un séjour en centre d’amincissement médicalisé, plutôt qu’une modification de leurs habitudes alimentaires.
« Techniques de restriction » : restriction alimentaire sévère sur une courte période.
Ces femmes considéraient que la diététique se basait sur la pesée des aliments, l’établissement de rations et de menus ainsi que de listes d’aliments interdits. Elles étaient très critiques vis-à-vis du programme d’éducation alimentaire, qui ne les confortait pas dans leur perception. Beaucoup ne le suivirent pas jusqu’à son terme. Ces femmes étaient globalement dans une situation moins précaire que le groupe précédent, disposant d’un niveau d’éducation plus élevé (lycée ou plus).
« Techniques culinaires » : perte de poids progressive et stabilisation.
Ce groupe parlait plus en taille de vêtements qu’en poids comparé aux deux précédents. A l’évocation de leurs tentatives passées de perte de poids elles précisaient ne pas avoir eu recourt aux « régimes ». Elles passaient beaucoup de temps en cuisine, point clef de la compréhension de leur rapport à la nourriture et à l’alimentation. C’est également par leurs pratiques culinaires qu’elles se réapproprieront les conseils délivrés dans le programme d’éducation. Ces femmes étaient plus souvent seules (séparées ou veuves). Leurs relations avec leurs enfants étaient souvent conflictuelles, ce qui impactait leur comportement alimentaire.
Cette étude qualitative devrait être complétée par des approches quantitatives. Elle montre une nouvelle fois l’importance du lien entre le milieu social et les pratiques de perte de poids.
L’importance de la prise en compte de la trajectoire sociale, des relations mères-filles et familiales apparaît aussi au détour de la discussion. Globalement, il semble qu’il soit plus facile pour ces publics de prendre le chemin d’une alimentation plus légère lorsque l’alimentation est au cœur des échanges familiaux, c’est sans doute particulièrement vrai dans le contexte français.
Lhuissier A (2012) The weight-loss Practices of Working Class Women in France, Food Culture & Society; 15(4):645-65.