Le 15 novembre 2023 a eu lieu le symposium européen « Produits laitiers et alimentation durable » organisé par le Cniel (Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière). L’évènement était l’occasion de partager les dernières connaissances autour de l’alimentation durable, de sa représentation sociale et de la perception qu’en ont les Français, et également de mieux appréhender la place des produits laitiers.
Pour rappel, l’alimentation durable est un concept qui repose sur quatre grands piliers : (1) la nutrition et la santé, (2) l’environnement et la biodiversité, (3) la dimension socioéconomique et (4) la dimension socioculturelle. Elle a été définie précisément par la FAO en 2010 :
« Les régimes alimentaires durables sont des régimes alimentaires ayant de faibles conséquences sur l’environnement, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu’à une vie saine pour les générations actuelles et futures. Les régimes alimentaires durables contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, abordables, nutritionnellement sûrs et sains, et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines. »
Alimentation durable : perceptions, attitudes et pratiques
Le sociologue Eric Birlouez a proposé un état des lieux des perceptions, attitudes et comportements effectifs des Français vis-à-vis de l’alimentation durable. Ces données ont été complétées par les résultats d’une enquêtei sur le sens de l’alimentation durable, réalisée en 2023 auprès de 1000 Français, rapportés par Romain le Texier, directeur des études au Cniel.
Eric Birlouez présente tout d’abord l’évolution des représentations des Français concernant la définition d’un aliment de qualité. Si, en 2000, un aliment de qualité était défini principalement par la notion du « bon à manger », cette représentation a largement évolué depuis. Petit à petit, le concept du « bon à penser » a pris le dessus, avec, à partir de 2015, l’importance du bio, puis des aliments « sans » (gluten, sucre, pesticides, etc.) et enfin, à partir de 2020, le « local » a pris une place importante dans cette représentation.
Concernant les attitudes et les attentes des Français vis-à-vis de leur alimentation, le sociologue met en avant le fait que ces derniers sont de plus en plus attentifs à ce qu’ils consomment. Aux attentes « historiques » des Trente Glorieuses que sont la sécurité sanitaire, le bon goût, le prix et la praticité, se sont ajoutées la santé dans les années 80, puis de nombreuses autres attentes liées à la durabilité : le caractère équitable, le bien-être animal, la naturalité, l’impact sur le climat, etc. Ces attentes sont associées à une montée des inquiétudes, à de la méfiance voire, parfois, de la défiance, à un désir de reprendre le contrôle de son alimentation et à un besoin de donner du sens à l’acte alimentaire.
Dans l’enquête 2023i rapportée par Romain le Texier, il apparaît que, pour les Français, la définition d’une alimentation durable fait principalement référence à l’achat de produits de saison (34 %), à la consommation locale (27 %), au respect de l’environnement (23 %) et au fait maison (22 %).
Concernant les pratiques effectives de Français vis-à-vis de l’alimentation durable, Eric Birlouez confirme qu’il y a une tendance concrète à moins gaspiller, à acheter plus de produits frais, de saison, bio et locaux et à consommer moins de plastique et d’emballages. Ces tendances sont confirmées par l’enquête 2023i : au cours des 12 derniers mois, les Français interrogés déclarent s’être plus engagés dans le fait maison (65 %), dans la réduction du gaspillage (60 %) et dans l’achat de produits de saison (59 %). Cependant, les pratiques semblent différer selon l’âge : les plus de 65 ans paraissent en effet plus entreprenants que les jeunes dans l’adoption de comportements durables. Selon Eric Birlouez, au-delà de l’âge, il existe deux autres lignes de clivage de la population vis-à-vis des comportements alimentaires durables : le niveau d’études et le pouvoir d’achat.
Les deux intervenants relèvent le fait qu’en situation d’achat, les priorités ne sont pas toujours les mêmes qu’en déclaratif : la durabilité passe souvent au second plan, en particulier derrière le prix (premier facteur d’achat d’un produit pour 77 % des participants de l’enquêtei, le goût (63 %) et la santé (47 %)).
Enfin, le sociologue propose une classification de la population en 5 catégories quant à leur engagement vers l’alimentation durable :
- les engagés de longue date (depuis le milieu des années 2010) dans la transition alimentaire (15 à 20 % de la population) ;
- les personnes en mouvement qui sont en train de prendre conscience de l’importance de changer leurs comportements (10 à 15 %) ;
- les personnes plus conservatrices, peu impliquées dans leur alimentation et la durabilité (30 à 35 %) ;
- les personnes sensibilisées, mais très contraintes financièrement (environ 15 %) ;
- et les personnes en insécurité alimentaire (15 à 20 %).
Pour conclure, dans l’enquête 2023i, 62 % des Français pensent que les produits laitiers sont compatibles avec la durabilité. Dans cette optique, Eric Birlouez souligne l’importance du respect de certaines exigences vis-à-vis du mode d’élevage ou encore de la rémunération des éleveurs. Il met enfin en avant plusieurs atouts des produits laitiers, tels que leur coût, qualité nutritionnelle et appartenance au patrimoine culturel.
Peut-on manger sain et durable ?
La directrice de recherche à l’INRAE Nicole Darmon rappelle, en introduction de sa conférence, les principes de base de la nutrition. Elle insiste tout d’abord sur le fait que, même si notre corps a besoin de calories et de nutriments pour bien fonctionner, ce sont bien des aliments que nous mangeons au quotidien. La « prouesse » que chaque être humain accomplit tous les jours est de parvenir à faire les « combinaisons gagnantes » d’aliments (en associant des aliments présentant des spécificités nutritionnelles différentes) qui vont lui permettre d’atteindre l’équilibre qui lui est propre, en fonction de sa génétique, son âge ou encore sa situation physiologique. Cet équilibre est atteint lorsque tous les besoins sont couverts, sans manque et sans excès.
Concernant l’alimentation durable, la chercheuse insiste sur l’importance, mais aussi la difficulté, à rendre les quatre dimensions compatibles.
Elle explique que les études descriptives ont montré que, d’une façon générale, les personnes ayant une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle ont tendance à être aussi celles qui ont l’impact environnemental le plus important. Cependant, une étudeii réalisée en France et dans quatre autres pays européens a indiqué qu’il existe une frange de la population adulte qui parvient à la fois à avoir une alimentation de bonne qualité nutritionnelle et un impact carbone diminué de 20 % par rapport à la moyenne de la population.
L’examen approfondi de l’alimentation de cette catégorie de la population montre que ces individus ont tendance à diminuer le ratio animal/végétal et à consommer moins de boissons (chaudes, alcoolisées et sucrées). Concrètement, ces personnes consomment en moyenne au quotidien :
- 1 kg de produits végétaux (dont 400 g de fruits et légumes) ;
- 400 g de produits animaux (dont 250 g de produits laitiers, incluant 30 g de fromage).
Pour imaginer l’alimentation durable du futur, Nicole Darmon met en lumière l’importance des études se basant sur la modélisation sous contraintes multiples (réalisation de modèles alimentaires respectant au mieux les différentes contraintes des quatre dimensions de l’alimentation durable). S’il n’existe pas, à proprement parler, d’aliment durable, la modélisation peut aider à identifier la part des différents aliments dans un régime alimentaire durable. En examinant l’impact carbone de chaque catégorie d’aliments par 100 kcal (plutôt que par 100 g d’aliments), on observe globalement un impact diminué des produits végétaux par rapport aux produits animaux. Cependant, en allant plus dans le détail, on peut voir que les produits laitiers ont un impact carbone équivalent à celui des fruits et que les œufs n’ont pas plus d’impact que les légumes. Les produits sucrés, les féculents raffinés et les aliments gras présentent un niveau d’impact plutôt bas, mais ne sont pas recommandables en grande quantité pour la santé.
Pour conclure, Nicole Darmon insiste sur l’importance de ne pas assimiler végétal à durable ou encore végétal à sain (les féculents raffinés – des produits végétaux – ont par exemple un impact environnemental et un prix réduits, mais ont une faible densité nutritionnelle). Pour réduire l’impact environnemental de l’alimentation, elle indique qu’« il est intéressant de réduire la consommation de viande et végétaliser son assiette en allant vers les céréales complètes et les légumineuses ». Concernant les produits laitiers, la chercheuse met en avant le fait qu’ils représentent, en particulier, une source – peu coûteuse et peu impactante – de protéines, de calcium et de vitamine B12. Par ailleurs, Nicole Darmon invite les consommateurs à ne pas faire porter la notion de durabilité à des aliments considérés isolément : équilibre, diversité et modération restent les trois mots clés pour tendre vers une alimentation plus durable.
i Etude 2023 CNIEL x Norstat sur l’alimentation durable
ii Etude SUSDIET 2020