Le Cerin pose 3 questions au Pr Xavier Girerd
Risque-t-on de devenir hypertendu en consommant trop de sel ?
Pr Xavier Girerd: Des données nouvelles permettent aujourd’hui une quantification plus précise du risque d’élévation de la pression artérielle lié à la consommation de sel. Les résultats de l’étude PURE, publiée dans le New England Journal of Medicine en août 2014, montrent qu’au delà d’une consommation de 12 g de sel par jour, chaque gramme supplémentaire induit en moyenne une augmentation de 1 mm de mercure. Donc si quelqu’un consommait 10 g de sel au-delà de 12 g, soit 22 g de sel – ce qui est beaucoup – il aurait une augmentation de 10 mm de mercure, soit 1 point de pression artérielle : sa tension passerait, par exemple, de 120 à 130 mmHg (ou encore, comme on le dit couramment, de 12 à 13). Cette remarquable étude remet en question l’objectif optimal de consommation de sel tel que l’a défini l’OMS en 2008 : il s’agissait alors de ne pas dépasser 5 g par jour. Rien n’autorise à dire que ce seuil soit optimal vis-à-vis du risque de maladie et même de mortalité cardiovasculaire. La relation entre consommation de sel et risque cardiovasculaire n’est pas progressive et linéaire : ce ne sont pas ceux qui consomment le moins de sel qui ont le moins de risque et ceux qui en consomment le plus qui ont le plus de risque. Ce sont ceux qui ont le « dosage » optimal qui ont le moindre risque. Ceux qui ne consomment pas assez de sel ont plus de risque que ceux qui consomment la quantité optimale. Et la quantité optimale se situe entre 8 et 12 g. Même si ce n’est pas encore le cas à l’heure actuelle, ces données seront un jour ou l’autre prises en compte par les autorités sanitaires. Il en ressort que l’on ne peut pas conseiller aux bien-portants de manger sans sel. On ne peut pas dire non plus qu’il est bon de manger trop de sel. Mais il faut en manger beaucoup pour avoir un retentissement sur le risque cardiovasculaire (via l’élévation de la tension, le seul mécanisme que l’on connaisse vraiment). En somme, le sel n’est pas un poison, mais un compagnon à manier avec raison.
Les personnes atteintes d’hypertension peuvent-elles tout de même espérer un bénéfice en diminuant systématiquement leur consommation de sel ?
Pr XG: Le régime sans sel strict a été mis au point dans les années 1940 pour traiter l’hypertension dite maligne, une pathologie gravissime qui entraînait une atteinte rénale et le décès des patients en quelques mois. Il a été montré alors qu’un régime à base de riz sans sel pendant trois semaines pouvait sauver des patients. Dans les années 1950 sont apparus des traitements de l’hypertension maligne : d’abord des diurétiques (qui permettent l’élimination du sel par les urines), puis peu à peu d’autres classes de médicaments plus efficaces et mieux tolérés, qui sont majoritairement employés aujourd’hui. Ces médicaments sont aujourd’hui validés pour prévenir les maladies cardiovasculaires chez les personnes hypertendues. Néanmoins, jusque dans les années 1980, les médecins ont gardé l’habitude de prescrire un régime sans sel ou peu salé. Vu l’efficacité de nos traitements, ce n’est plus une recommandation à l’heure actuelle. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas dépister, parmi les patients hypertendus, les consommateurs excessifs de sel. Mais d’après les chiffres d’une étude menée dans mon service auprès de 2 500 patients suivis pendant 5 ans, ils représentent seulement 19 % des hypertendus : 25 % chez les hommes et 12 % chez les femmes. A ceux qui consomment plus de 12 g de sel par jour et qui n‘ont pas encore de traitement antihypertenseur, on peut proposer de diminuer leur consommation en suivant quelques conseils. En deux semaines, il est possible de connaître la réponse de la pression artérielle à cette diminution de consommation. Car parmi les hypertendus, seulement 40 % sont sensibles au sel. Chez 50 % d’entre eux, la diminution de la consommation de sel n’a pas d’effet. Et chez 10 %, elle fait même grimper la tension ! Ceux qui sont les plus susceptibles d’être sensibles au sel sont les sujets en excès de poids, les Noirs et les personnes âgées. Chez les personnes âgées, il n’est pas proposé de diminuer la consommation de sel, car elles risquent de manger moins, avec des conséquences nutritionnelles redoutées à juste titre par les gériatres. Chez les patients en excès de poids, qui souvent sont de gros mangeurs, il n’est pas toujours facile de faire diminuer la consommation de sel. Car celle-ci provient des aliments (pain, charcuterie, fromage, et surtout par exemple les pizzas, qui cumulent les trois !), beaucoup plus que du sel qu’on y ajoute : le sel en provenance de la salière ne représente qu’environ 10 % de la consommation quotidienne de sel. Conclusion là encore : aux yeux du spécialiste de l’hypertension, les traitements antihypertenseurs sont souvent plus efficaces que les conseils astreignants, difficiles à suivre à chaque repas !
Au vu de ces données, est-il alors justifié de demander à la population française, prise dans son ensemble, de consommer moins de sel ?
Pr XG: Il faut sans doute se méfier d’un message aussi universel et systématique. D’après les évaluations dont nous disposons, les hommes consomment 8,5 g de sel par jour, et les femmes 7,3 g. Nous ne sommes donc pas loin des objectifs du PNNS, qui a fixé comme objectifs une consommation moyenne de sel de 7g par jour pour les femmes et de 8 g par jour pour les hommes. Bien sûr, les chiffres actuels reflètent une moyenne et il y a des consommateurs excessifs. Comme chez les hypertendus, ce sont plus fréquemment des hommes que des femmes, et souvent de jeunes adultes, âgés de 18 à 25 ans, mangeurs de pizzas, sandwichs, chips et hamburgers variés… C’est dans cette tranche d’âge que l’on trouve le plus grand pourcentage de consommateurs excessifs de sel. Mais ce n’est pas un groupe menacé par l’hypertension artérielle et les maladies cardiovasculaires : ces pathologies apparaissent plutôt après 60 ans ! Et les personnes âgées, par ailleurs, ne sont pas de fortes consommatrices de sel. Les messages du PNNS semblent avoir eu des conséquences pratiques, du côté des consommateurs comme des industriels, qui ont fait des efforts notables pour diminuer la quantité de sel dans les produits. Les salines qui fournissent l’industrie agroalimentaire annoncent une baisse des leurs ventes de sel de l’ordre de 20 %… Au total, si l’on prend en compte le paysage épidémiologique, l’équation sel et santé est plutôt favorable. La France ne fait pas partie des pays du monde où l’on mange le plus de sel. Il faut laisser aux autorités de santé le temps d’intégrer les nouvelles données scientifiques, mais il me paraît certain que la « vérité » d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain !
Pr Xavier Girerd – Pôle Coeur Métabolisme, Unité de Prévention Cardio Vasculaire, Groupe Hospitalier Universitaire Pitié-Salpêtrière