Face à l’augmentation continue de la prévalence des allergies alimentaires chez le nourrisson depuis une vingtaine d’années, le champ d’investigation des chercheurs s’étend désormais bien au-delà de la seule génétique. Les facteurs environnementaux avant la naissance, notamment le régime alimentaire des mères, sont aujourd’hui considérés comme déterminants. Dans cet article, Denise-Anne Moneret-Vautrin, allergologue, fait le point sur l’état de la recherche. L’héritabilité génétique des allergies alimentaires est admise. Néanmoins, elle est aujourd’hui éclipsée par l’impact des facteurs environnementaux avant la naissance. Il s’exerce via des mécanismes épigénétiques, c’est-à-dire des modifications héritables des fonctions des gènes sans altération de leur séquence ADN. Parmi ces mécanismes, l’état de méthylation de l’ADN au niveau des sites promoteurs de certains gènes suscite l’attention des chercheurs : la méthylation empêche la liaison de facteurs de transcription au promoteur et bloque l’expression du gène concerné.
L’alimentation de la femme enceinte intéresse tout particulièrement les chercheurs, elle aurait des effets médiés par des mécanismes épigénétiques.
Selon une étude, les enfants dont la mère a consommé 500 µg par jour ou plus de folates ont plus d’eczéma que ceux dont les mères en ont pris moins de 200 µg. La relation entre le taux de folates dans le cordon ombilical et la sensibilisation à des allergènes suit en fait une courbe en U. La consommation d’allergènes puissants (arachide, fruits à coque, sésame) par la mère pendant la grossesse pose également question, les études ne donnant pas toutes des résultats identiques. Une consommation courante de beurre cru et de yaourts à partir de lait cru pourrait protéger de l’allergie, tout comme un régime riche en polyphénols (fruits et légumes) ou riche en fibres. Enfin, les études ne sont pas encore concluantes concernant la supplémentation en acides gras polyinsaturés pendant la grossesse.
Des facteurs non alimentaires ont aussi été étudiés, en particulier l’influence d’un environnement agricole chez la femme enceinte. Car l’environnement microbien d’avant la naissance est de première importance pour « formater » les réponses immunitaires. L’environnement influence l’expression des gènes favorablement en diminuant la susceptibilité allergique.
Autres facteurs, un tabagisme anténatal double le risque de sensibilisation aux allergies alimentaires, et des études ont montré un lien entre l’exposition aux polluants atmosphériques ou le stress et le risque de sensibilisation ou d’allergie alimentaire.
Enfin, le microbiote constitue un vaste champ de recherche. Le transfert de microbiotes de souris allergiques vers des souris germ-free (sans microbiote) induit une allergie alimentaire. Le microbiote maternel, dont la composition est influencée par l’ensemble des facteurs diététiques décrits précédemment, exercerait ainsi un impact sur le développement de l’immunité innée du fœtus. Néanmoins, l’administration de probiotiques chez la femme enceinte (majoritairement Lactobacillus rhamnosus et Bifidobacterium) ne semble pas modifier le risque de sensibilisation.
Au terme de cet état de la connaissance, Denise-Anne Moneret-Vautrin rappelle qu’il ne faut pas négliger l’importance des facteurs post-nataux. Elle ajoute que si la vie fœtale constitue un temps privilégié de modifications épigénétiques, celles-ci peuvent disparaître et se produire à tout âge. L’allergologue souligne en conclusion que la prévention des atopies, asthme et allergies alimentaires est possible. Si elle est encore balbutiante concernant la prise en charge de la femme enceinte, il est important « de mener une politique préventive en ce qui concerne la maîtrise des facteurs pathogènes connus de l’environnement, et la vigilance apportée aux « mutations » de l’alimentation ».
D.A. Moneret-Vautrin (2014) Programmation fétale de l’allergie alimentaire : génétique et épigénétique, Revue française d’allergologie ; 54:505-512.