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JFN 2024 – Nutrition et réseaux sociaux

Brèves scientifiques
Publié le 13/01/2025
Publié le 13/01/2025
Temps de lecture : 6 minutes
Creditphoto: NooPaew

Le thème des réseaux sociaux s’est invité aux Journées Francophones de Nutrition 2024. Nous vous proposons de revenir sur trois conférences ayant examiné ce sujet : tout d’abord un état des lieux sur les liens globaux entre les réseaux sociaux et la nutrition, puis une étude de cas sur les influenceuses fitness et enfin un focus sur le métier de diététicien à l’ère des réseaux sociaux.

Réseaux sociaux et nutrition : état des lieux

Pascale Ezan (Le Havre) dresse un état des lieux concernant les liens entre les réseaux sociaux et la nutrition. Elle met tout d’abord en lumière trois constats :

  1. Les réseaux sociaux ont envahi notre quotidien, en particulier celui des jeunes. Le temps passé en moyenne par les Français sur les réseaux sociaux est de 2 heures 23 minutes. Chez les 15 – 24 ans, le temps hebdomadaire passé sur TikTok est de plus de 21h ; ils passent aussi en moyenne près de 12h par semaine sur YouTube et plus de 8h sur Instagram.
  2. La nutrition est une thématique très plébiscitée sur les réseaux sociaux. Elle arrive en 5e position des thématiques les plus populaires, juste derrière des thèmes comme le lifestyle, la cosmétique beauté ou encore le sport. La chercheuse souligne une certaine dualité des contenus en lien avec l’alimentation sur les réseaux sociaux :
    • d’un côté le Food Porn consiste en des mises en scène de produits valorisant le plaisir, dans lesquelles on trouve, tout particulièrement, des aliments de la catégorie Junk Food ;
    • d’un autre côté, le Clean Eating valorise le manger « sain et équilibré », privilégie les aliments healthy tout en évitant les plats cuisinés et aliments transformés.

Pascale Ezan insiste sur le fait que les réseaux sociaux, en particulier quand ils parlent d’alimentation, peuvent être :

  • une source de divertissement : les réseaux sociaux sont de véritables supports de télé-réalités qui proposent des rendez-vous quotidiens basés sur des mises en scène ludiques, des challenges, des mises en tendance et un recours permanent à l’humour qui permet de créer facilement du lien social ;
  • une source d’information : il est important de noter que ces informations sont le plus souvent convergentes, par l’effet des algorithmes qui maintiennent en contact avec le même type de contenu. Cette convergence des informations liée aux algorithmes des réseaux sociaux a un effet rassurant pour les consommateurs, comparativement aux propos entendus dans les médias traditionnels en matière de nutrition qui sont plus variés (car non guidés par un algorithme), donc pas forcément concordants. A noter également que ces informations intègrent les contraintes des consommateurs, en termes de temps, d’argent ou de compétences culinaires, et sont le plus souvent validées par des témoignages ;
  • une source d’inspiration : notamment sur Instagram, les créateurs de contenu valorisent le beau et le faire soi-même pour promouvoir le bon : les assiettes sont esthétisées pour être de véritables créations artistiques « instagrammables ». Par ailleurs, le message qui accompagne la plupart des publications est le suivant : « si je le fais, tu peux le faire ! ».
  •  une source de motivation : pour le consommateur, les réseaux sociaux peuvent devenir un levier pour changer ses pratiques alimentaires, sans consultation ni ordonnance, mais avec un parcours à suivre et la mise en place de routines. L’adoption d’une alimentation saine est valorisée par les créateurs de contenus comme étant la première étape d’un cercle vertueux vers une transformation corporelle, une meilleure estime de soi et une image sociale améliorée.
  • Les créateurs de contenus sont devenus des « figures d’autorité » pour parler de nutrition sur les réseaux sociaux. Le succès de ces « influenceurs alimentaires » s’explique principalement par leur communication de type horizontale qui leur permet d’apparaître comme des modèles facilement accessibles. Pascale Ezan souligne l’importance des liens authentiques en mode conversation qui sont créés entre le créateur et les personnes qui le suivent, ainsi que l’emploi d’un ton non moralisateur. La chercheuse explique que l’expertise numérique et la façon de s’exprimer sur les réseaux sociaux viennent supplanter l’expertise nutritionnelle et sont de véritables vecteurs de légitimité selon le consommateur.

Pascale Ezan poursuit ensuite son intervention en examinant les connaissances actuelles concernant les impacts de ces contenus nutritionnels sur la santé et le bien-être. Les travaux initiés en 2013 se sont tout d’abord focalisés sur les potentiels effets négatifs des réseaux sociaux sur la santé. Ils ont mis en avant les risques importants de la comparaison sociale qui peut avoir des effets délétères sur l’image de soi et de son corps, pouvant ainsi conduire à des troubles du comportement alimentaire. Depuis 2019, la quantité de recherches sur le sujet est en fort développement et, si les travaux sur les risques et les alertes sur les fake news se poursuivent, de potentiels bénéfices des réseaux sociaux sont aussi mis en lumière :

  • ils peuvent permettre de sensibiliser les utilisateurs au mieux-manger ;
  • ils peuvent augmenter leur niveau de connaissances nutritionnelles ;
  • des potentiels impacts positifs sur la littératie alimentaire ont aussi été relevés.

La chercheuse souligne par ailleurs le fait que les réseaux sociaux peuvent être un outil pertinent pour les professionnels de santé pour relayer de l’information.

Pour finir, Pascale Ezan met en avant les difficultés à mesurer ces impacts des réseaux sociaux sur la santé, particulièrement en raison :

  • de la constante évolution des plateformes, qui modifie rapidement les usages et rend compliquées les comparaisons entre études ;
  • des mesures basées uniquement sur des comportements autodéclarés ;
  • d’un accès aux données souvent limité par les plateformes ;
  • d’un focus qui est trop souvent mis sur les effets globaux, sans prendre en compte les caractéristiques interindividuelles, les différents contextes d’utilisation ou encore le type d’usage.

En conclusion, la chercheuse souligne le besoin de futurs travaux de recherche pour examiner les impacts des réseaux sociaux dans des populations qui ont été jusque-là moins étudiées, par exemple les hommes ou les personnes âgées, et pour comparer les potentielles différences d’usage entre des populations de cultures variées.

Etude de cas : les influenceuses fitness

Caroline Rouen Mallet et Stéphane Mallet (Rouen) présentent quant à eux une étude de cas en se focalisant sur les influenceuses fitness, aussi appelées fit girls. Ils soulignent tout d’abord le fait qu’Instagram abrite environ 50 000 influenceurs fitness et que plus de 500 millions de personnes suivent le #fitness sur ce même réseau social. L’objectif des deux chercheurs est de comprendre les leviers mobilisés par les influenceuses fitness pour apparaître comme de nouvelles « figures d’autorité » en matière de nutrition, la finalité étant de pouvoir s’en inspirer pour accroître les effets des programmes de changement comportemental en santé publique. La méthodologie utilisée est la netnographie, une méthode de collecte et d’analyse de données adaptée au numérique qui permet d’étudier à la fois des données textuelles, des photographies et des vidéos.

Les chercheurs insistent sur le fait que les fit girls sont des femmes ordinaires qui prennent la parole simplement et de façon empathique en utilisant le story telling. Leur force est de partager leur quotidien, tant les réussites que les échecs, et de faire vivre des expériences à leurs abonnées qu’elles accompagnent pas à pas vers leur transformation. Les influenceuses fitness sont devenues des promotrices de changements grâce à une mise en scène quotidienne d’entraînements sportifs et d’idées recettes, dans l’objectif d’atteindre un mode de vie sain et un corps idéal. Elles prétendent s’appuyer sur des informations nutritionnelles et sportives issues des acteurs de santé publique et doivent leur succès en particulier à leur expertise numérique qui leur permet de capter et de maintenir l’attention de leurs abonnés. Elles savent comment prendre la parole sur les réseaux sociaux pour impacter et faire mémoriser leur message. Pour créer de la proximité avec leurs abonnées, elles se présentent toujours comme « la bonne copine qui vous veut du bien ».

Caroline Rouen Mallet et Stéphane Mallet insistent sur le mimétisme dans les prises de vue et les termes utilisés par les influenceuses fitness. Ils relèvent en particulier une mise en avant constante du ventre, de la poitrine et des fesses. Cette uniformisation des discours et ces répétitions contribuent à marquer les esprits des utilisateurs. Sur les pages Instagram des fit girls, on peut citer plusieurs éléments invariants qui contribuent à les positionner en tant qu’ « experte » :

  • un titre attractif associé à la promesse d’une métamorphose (par exemple : « Coach fitness et healthy : j’aide les femmes à se transformer avec bienveillance ») ;
  • une rubrique transformation avant/après qui met en scène leurs propres changements corporels ainsi que ceux de leurs abonnées les plus assidues. Les influenceuses prouvent de cette façon que le changement est accessible à toutes ;
  • une rubrique expertise sportive ;
  • une rubrique expertise nutrition avec des recommandations qui peuvent s’avérer saines et positives, mais qui sont surtout et avant tout « instagrammables », avec des assiettes esthétiques et qui comprennent des ingrédients ou aliments faisant partie des tendances de consommation du moment. L’examen approfondi de ces rubriques nutrition montre un équilibre souvent contestable avec de fortes tendances hypocaloriques et végétariennes. Les chercheurs relèvent aussi la promotion fréquente de périodes de sèches (perte de masse grasse tout en conservant sa masse musculaire), de la prise de compléments alimentaires et d’une discipline nutritionnelle très stricte. Ils alertent sur le fait que, dans la communication des influenceuses fitness, l’alimentation est au service d’une norme corporelle idéale à atteindre, ce qui risque d’entraîner les personnes les plus vulnérables vers des comportements déviants.

Pour conclure, Caroline Rouen Mallet et Stéphane Mallet mettent en lumière les implications pour les professionnels de santé : les réseaux sociaux sont un moyen de communication à investir pour favoriser l’apprentissage du bien manger ; il est primordial de miser sur la démonstration, l’expérience et l’émotion plutôt que sur l’argumentation et le scientifique uniquement. Enfin, les chercheurs posent la question de la pertinence d’envisager des collaborations avec ces influenceuses pour bénéficier de leurs compétences numériques et sociales et transmettre des messages appropriés.

Devenir diététicien à l’ère des réseaux sociaux

Emmanuelle Lefranc (Rouen), diététicienne et sociologue, s’interroge sur la difficulté de devenir diététicien à l’ère du numérique. Elle examine en particulier la question suivante : comment concilier éthique professionnelle et quête de visibilité sur les réseaux sociaux ? La chercheuse présente les résultats d’une enquête menée auprès d’étudiants en première et deuxième année de BTS diététique consistant en la réalisation de focus group (n = 57) et d’entretiens individuels (n = 15), complétés par un questionnaire en ligne (n = 51).

Il apparaît tout d’abord que le fait d’être étudiant diététicien aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, impacte grandement la manière d’envisager sa future activité professionnelle. Si seulement 13 % des étudiants déclarent avoir actuellement une activité publique sur les réseaux sociaux en lien avec l’alimentation, ils sont près d’un tiers à l’envisager explicitement dès qu’ils auront obtenu leur diplôme et près de 50 % à ne pas exclure cette hypothèse.

Les futurs diététiciens perçoivent les réseaux sociaux comme :

  • un levier pour gagner en visibilité et crédibilité dans une profession encore peu valorisée par le grand public ;
  • un moyen de partager leurs valeurs et connaissances ;
  • un moyen de lutter contre les fausses informations ;
  • ils perçoivent aussi un défi éthique et technique, car réussir demande de l’investissement, des compétences numériques et une capacité à séduire, tout en respectant leur formation diététique.

Les étudiants relèvent tout particulièrement quatre points de l’éthique du métier de diététicien qui leur semblent contradictoires avec ce qui fonctionne sur les réseaux sociaux :

  1. Le diététicien est censé dédramatiser le lien avec l’alimentation, ce qui s’oppose au rigorisme et aux règles strictes qui sont le plus souvent recherchés sur les réseaux sociaux ;
  2. Beaucoup d’étudiants déplorent le fait que la crédibilité sur les réseaux sociaux repose sur l’apparence physique et la performance visible ;
  3.  Les étudiants ont appris à rejeter les régimes miracles au profit d’une alimentation équilibrée et réaliste, alors que les influenceurs deviennent populaires en promettant des changements radicaux et des résultats rapides.
  4. Enfin, les étudiants soulignent l’importance de personnaliser les conseils diététiques, alors que, sur les réseaux sociaux, ce sont les messages standardisés qui fonctionnent : « il faut mettre en avant une méthode universelle ».

En conclusion, Emmanuelle Lefranc souligne le fait que, même si de nombreux diététiciens sont présents sur les réseaux sociaux, les modèles de communication qui leur permettent de capter l’attention, tout en restant alignés avec leur rôle de professionnel de santé, restent à inventer. Pour aider à cela, elle pose la question de l’intégration de cours de communication numérique dans la formation de diététicien afin de surmonter ces nouveaux défis.

Atelier scientifique de l’Agence Nationale de la Recherche, projet Alimentation et numérique (ANR ALIMNUM). « Réseaux sociaux et comportement alimentaires : risques et opportunités ». Journées Francophones de la Nutrition à Strasbourg le 5 décembre 2024.