Les Journées Francophones de Nutrition 2024 (JFN 2024) se sont déroulées du 4 au 6 décembre à Strasbourg et ont réuni plus de 2700 participants. Retour sur deux conférences examinant des questions sur le thème de l’alimentation biologique : quelle est la valeur nutritionnelle des aliments bio et quels sont les liens entre le bio pendant la période périnatale et la santé de l’enfant ?
Valeur nutritionnelle des aliments bio
Arnaud de Luca (Tours) examine la question de la valeur nutritionnelle des aliments issus de l’agriculture biologique, comparativement aux aliments conventionnels, ainsi que leurs potentiels impacts sur la santé de l’enfant et de l’adulte. A noter que son intervention ne prend en compte que le volet nutritionnel du bio, sans prendre en compte ses aspects environnementaux.
Un focus est d’abord mis sur les préparations infantiles et les produits alimentaires spécifiques aux enfants de moins de 3 ans. Pour ces aliments, la règlementation européenne est très stricte, et applicable aussi bien à l’alimentation conventionnelle qu’à l’alimentation bio :
- en termes de composition, le nombre d’additifs autorisés est très limité ; une absence de parfums artificiels, colorants, hormones, conservateurs et édulcorants est en particulier exigée ;
- par ailleurs, une quasi-absence de contaminants est requise dans le produit fini.
Ainsi, le pédiatre indique que l’alimentation bio ne paraît pas justifiée nutritionnellement pour ces produits, car la règlementation impose une obligation de résultat dans le produit fini qui est plus stricte que l’obligation de moyens associée à la méthode de production des aliments biologiques.
Concernant les autres aliments, Arnaud de Luca met en lumière plusieurs différences nutritionnelles entre aliments bio et conventionnels :
- dans les produits laitiers, une méta-analyse montre une quantité un peu plus importante d’Acides Gras Poly-Insaturés (APGI) dans le cas de l’agriculture biologique (en moyenne : + 7 mg pour ¼ de litre de lait entier), ainsi qu’un ratio oméga-6/oméga-3 plus favorable. Des quantités légèrement diminuées d’iode et de sélénium ont aussi été rapportées dans les produits laitiers bio ;
- dans la viande bio, on retrouve moins d’acide myristique et d’acide palmitique et plus d’acides gras à longue chaîne et, de nouveau, un ratio oméga-6/oméga-3 plus favorable ;
- le poisson bio a une tendance à contenir plus d’AGPI ;
- les œufs bio semblent moins riches en protéines et en oméga-6 que les œufs conventionnels et plus riches en oméga-3 ;
- concernant les fruits, légumes et céréales issus de l’agriculturebiologique, une méta-analyse met en évidence plus de glucides, d’antioxydants et de quelques minéraux (en particulier, magnésium (+ 4 %) et zinc (+ 5 %)). La quantité de protéines semble quant à elle diminuée dans les céréales bio.
Arnaud de Luca insiste sur la complexité à interpréter les études comparant la valeur nutritionnelle des aliments bio vs conventionnels, en particulier en raison du nombre important de facteurs confondants. Il relève en particulier le fait que les aliments issus de l’agriculture extensive sont nutritionnellement plus proches des aliments bio que ceux issus de l’agriculture intensive. Parmi les autres facteurs confondants, on peut citer la saisonnalité, le processus de production, les différentes espèces considérées, le temps entre la récolte et la consommation ou encore le type de préparation au domicile.
Enfin, si l’analyse des liens entre l’alimentation biologique et la santé est également complexe (en particulier en raison du fait que chaque individu associe sa consommation d’aliments bio à des aliments conventionnels, et ce, dans des proportions différentes), la littérature disponible montre que l’augmentation de la part du bio dans la ration est associée à des risques diminués d’obésité chez l’enfant et l’adulte, ainsi que de syndrome métabolique/diabète chez l’adulte. Concernant les liens entre la consommation d’aliments bio et les risques de cancer, quelques études semblent montrer des baisses de risque, en particulier pour le cancer du sein et le cancer de l’estomac, mais plus de travaux sont encore nécessaires pour confirmer ces résultats.
Pour conclure, Arnaud de Luca souligne le fait que l’alimentation bio n’est pas obligatoirement synonyme de meilleure qualité nutritionnelle : même si les aliments biologiques semblent présenter quelques avantages nutritionnels, la signification clinique de ces différences n’est pas forcément très élevée.
Alimentation bio et santé chez l’enfant
Blandine de Lauzon-Guillain (Villejuif) rappelle tout d’abord que les aliments bio sont depuis quelques années mis en avant dans les recommandations nutritionnelles chez l’adulte et, plus récemment dans celles à destination des enfants de moins de 3 ans. Elle présente les données de la cohorte française ELFE (Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance), constituée de plus de 18 000 enfants nés en 2011, qui examine les liens entre la fréquence de consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique par la maman pendant la grossesse et par l’enfant pendant la diversification, avec plusieurs paramètres de santé de l’enfant : allergies, croissance et neurodéveloppement.
Les données descriptives montrent tout d’abord que la moitié des enfants n’ont jamais été exposés à des aliments biologiques, que ce soit pendant la grossesse ou pendant la diversification. En revanche, près de 10 % ont été exposés tous les jours ou presque, quelle que soit la période considérée. Les femmes plus âgées, qui ont un niveau d’études et des revenus plus élevés sont les plus utilisatrices d’aliments bio pendant la grossesse et la diversification, alors que celles qui sont en situation de surpoids ou d’obésité sont celles qui les utilisent le moins. Blandine de Lauzon-Guillain souligne également le fait que les enfants les plus consommateurs d’aliments bio sont aussi ceux qui sont allaités le plus longtemps et qui débutent la diversification plus tardivement.
De façon surprenante, une consommation plus fréquente d’aliments biologiques, en particulier pendant la diversification alimentaire, est associée à un risque plus élevé d’allergie alimentaire entre l’âge de 1 et 5 ans. Ces résultats, en désaccord avec d’autres données de la littérature scientifique, ne semblent pas être liés au phénomène de causalité inverse. La chercheuse fait l’hypothèse que la consommation d’aliments bio pourrait être un indicateur d’autres pratiques alimentaires (par exemple une moindre diversité alimentaire pendant la période de diversification) favorisant le développement d’allergies.
Concernant le lien entre l’alimentation biologique et la croissance, les résultats montrent qu’une fréquence élevée de consommation d’aliments bio pendant la grossesse par la mère et pendant la diversification par l’enfant est associée à un indice de masse corporelle plus bas aux âges de 1, 3, 5 et 7 ans et à un risque de surpoids, évalué à l’âge de 5 ans, diminué.
Enfin, Blandine de Lauzon-Guillain souligne le fait que la consommation d’aliments bio pendant la grossesse est associée à une amélioration des scores globaux de neurodéveloppement de l’enfant à 5 ans, ainsi qu’à des performances en lecture améliorées à 4 et 6 ans.
La chercheuse conclut que, si la consommation d’aliments biologiques pendant la grossesse et la diversification semble être associée à des paramètres de santé plutôt améliorés chez l’enfant, son lien avec les allergies reste à éclaircir et celui avec le surpoids et le neurodéveloppement est à examiner sur une plus longue période.
Symposium de la Société Française de Pédiatrie : table ronde sur l’alimentation bio de l’enfant. Journées Francophones de la Nutrition à Strasbourg le 5 décembre 2024.