Suite aux Journées Francophones de Nutrition (JFN) 2023, nous vous proposons un focus sur deux conférences traitant de pathologies associées à l’alimentation : la sarcopénie et son lien avec les variations de poids au cours de la vie, ainsi que les MICI et leurs liens avec le microbiote.
Yoyo pondéral et sarcopénie
Clément Lahaye (Clermont-Ferrand) s’intéresse à la problématique de la sarcopénie et à ses facteurs déclencheurs. Il présente l’état des connaissances concernant le rôle éventuel que pourraient jouer des épisodes de « yoyo pondéral » ou cycles pondéraux sur l’apparition de la sarcopénie. Il définit les cycles pondéraux comme étant une répétition de phases de pertes de poids plus ou moins volontaires, entrecoupées de reprises pondérales. Ces cycles pondéraux sont observables dès l’adolescence, jusque chez les seniors et sont plus fréquents chez les femmes que chez les hommes. Ils sont aussi plus souvent observés chez des personnes présentant un surpoids ou une obésité, mais existent aussi dans la population normopondérale. Clément Lahaye insiste sur le fait qu’il n’existe pas de définition consensuelle des cycles pondéraux ; les amplitudes de pertes de poids observées peuvent par exemple être très variables selon les études.
Les cycles pondéraux seraient principalement associés à des dyslipidémies (diminution du HDL-cholestérol), à une augmentation du risque d’insulinorésistance et de syndrome métabolique et à une hausse du risque de décès coronarien. Les personnes enchaînant les cycles pondéraux présentent aussi fréquemment des troubles du comportement alimentaire et une qualité de vie altérée.
Clément Lahaye souligne les nombreuses difficultés méthodologiques inhérentes à l’étude des liens entre les cycles pondéraux et la sarcopénie. Il cite en particulier :
- la complexité du temps long nécessaire pour examiner les effets de la répétition des cycles pondéraux ;
- la variabilité très importante entre les individus en termes de perte de poids et de récupération pondérale ;
- les études existantes sur les cycles pondéraux concernent principalement des individus de moins de 55 ans ;
- ces études examinent la composition corporelle, mais peu souvent la fonction musculaire (par exemple la force) ;
- le contexte expérimental sur un seul cycle pondéral est peu adapté et, en situation de vie réelle, il est difficile de contrôler les nombreux facteurs confondants.
Le chercheur fait ensuite un focus sur quelques études examinant cette association :
- plusieurs auteurs montrent qu’après une perte de poids, la masse maigre perdue n’est que partiellement récupérée en phase de reprise de poids, et ce, particulièrement chez les hommes. Il cite en particulier l’étude MONICA réalisée chez plus de 2 000 personnes âgées de 35 à 65 ans, suivies pendant 5 ans, et ayant eu une variation de poids de plus de 3 kg. Dans cette étude, la masse maigre représente 41 % des pertes de poids et 21 % du gain chez l’homme ; 35 % des pertes et 15 % du gain de poids chez la femme, sans effet d’âge.
- Le nombre de cycles pondéraux semble associé au risque de développer une sarcopénie. Dans une étude réalisée chez 207 personnes en situation d’obésité, celles ayant vécu plus de 5 cycles pondéraux supérieurs à 3 kg présentaient une force de préhension abaissée et une masse musculaire appendiculaire diminuée. Au final, le risque de sarcopénie était multiplié par 5 dans cette population, comparativement aux personnes ayant eu un poids stable.
- Une autre étude réalisée chez des femmes en situation de surpoids ou d’obésité a mis en évidence que le fait de multiplier les cycles pondéraux supérieurs à 10 kg était associé à un IMC plus élevé, un pourcentage de masse grasse et un tour de taille plus hauts et un métabolisme de repos (par kg de poids corporel) plus faible.
En conclusion, Clément Lahaye souligne le manque d’étude examinant les liens entre les cycles pondéraux et la sarcopénie. Si la hausse du nombre de cycles pondéraux est associée à l’augmentation de la prévalence de la sarcopénie, le caractère causal est aujourd’hui loin d’être démontré. Un troisième facteur : le niveau bas d’activité physique pourrait être un facteur de risque commun du yoyo pondéral et de la sarcopénie. Le chercheur rappelle que la restriction calorique sévère est contre-productive, car associée à une prise de masse grasse. Il souligne l’importance de se faire encadrer par un professionnel de santé si l’on souhaite engager une restriction calorique, afin de préserver les apports protéiques et d’augmenter l’activité physique et limiter ainsi la réduction de la masse et de la fonction musculaires ainsi que le risque de complications.
MICI et microbiote
Bénédicte Pigneur (Paris) présente quant à elle les liens existants entre les Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin (MICI) et le microbiote intestinal. Elle rappelle tout d’abord que les MICI sont des inflammations chroniques du tube digestif qui touchent principalement les personnes jeunes, entre 20 et 30 ans. A noter que 15 à 20 % des cas concernent des enfants. Les MICI se caractérisent par des poussées inflammatoires, entrecoupées ou non de périodes de rémission, avec des risques de complications (sténose, fistule, abcès) si le patient n’est pas pris en charge. On constate aujourd’hui une augmentation de l’incidence et de la prévalence des cas de MICI pédiatriques dans le monde, que ce soit pour la Maladie de Crohn (MC) ou pour la rectocolite hémorragique (RCH). La physiopathologie des MICI est complexe : il existe de nombreux facteurs génétiques et environnementaux qui génèrent une activation chronique et inappropriée du système immunitaire.
La chercheuse souligne le fait qu’il existe une dysbiose chez les patients atteints de MICI. Cette anomalie du microbiote peut se caractériser de la façon suivante :
- forte instabilité du microbiote au cours du temps ;
- présence d’environ 30 % de bactéries inhabituelles ;
- restriction de la biodiversité, avec moins de Firmicutes au profit des Gammaproteobacteria ;
- hausse de la concentration des bactéries liées à la muqueuse intestinale.
La dysbiose semble différente :
- entre les patients atteints de la MC et ceux atteints de la RCH. Les anomalies sont en effet plus importantes dans le cas de la MC : diversité plus réduite + communauté microbienne moins stable. Une signature microbienne a par ailleurs été proposée pour la MC, composée de 8 groupes microbiens différents.
- entre les phases de poussée et les phases de rémission ;
- entre les adultes et les enfants. La dysbiose semble en effet s’aggraver avec l’âge.
Au-delà de la composition bactérienne du microbiote, le virome des personnes atteintes de MICI semble aussi anormal. On relève égalementdes anomalies fongiques, telles que la diminution des Saccaromyces.
La chercheuse présente ensuite les résultats d’une étude cherchant à déterminer si c’est la dysbiose qui précède l’apparition de la maladie inflammatoire ou si, au contraire, c’est la MICI qui est à l’origine de la dysbiose. Cette étude réalisée chez des jumeaux dont seulement l’un des deux présente une MICI montre que, malgré cette différence, les deux jumeaux présentent un microbiote dysbiotique et identique. Les auteurs de cette étude concluent donc que c’est la dysbiose qui précéderait l’apparition de la MICI et non l’inverse, car les jumeaux non (encore ?) malades présentent malgré tout la même dysbiose que leur jumeau malade.
Pour finir, Bénédicte Pigneur met en lumière le fait que le microbiote peut être utilisé comme un outil thérapeutique dans le cadre des MICI. Les rares études existantes qui évaluent les effets de l’utilisation de probiotiques sont plutôt décevantes, mais la chercheuse annonce la mise en place récente de nouvelles études avec des probiotiques nouvelle génération, directement issus du microbiote intestinal. D’autres voies thérapeutiques sont explorées, principalement sur des modèles animaux : la thérapie par des phages dirigés contre des bactéries pathogènes spécifiques ou encore le ciblage de voies métaboliques altérées impliquées dans le dialogue hôte-microbiote, telle que la voie du tryptophane.
En conclusion, les patients atteints de MICI présentent un microbiote intestinal anormal. Certaines espèces pourraient jouer un rôle majeur dans l’homéostasie ou dans le maintien de l’inflammation. La thérapie par la manipulation du microbiote semble être une voie d’avenir, mais Bénédicte Pigneur souligne le chemin encore long qu’il reste à parcourir. Selon la chercheuse, il existerait peut-être une fenêtre d’opportunité pendant l’enfance, période pendant laquelle le microbiote intestinal est encore assez malléable.