Dans le cadre de la dernière édition des Journées Francophones de Nutrition, un symposium a abordé la question des mutations alimentaires. Coup de projecteur sur trois contextes spécifiques, au Sénégal, à l’île de La Réunion et au Danemark.
Mutations alimentaires au sein des Peuls du Sénégal (Abdou Ka)
Grâce à plusieurs mois d’enquêtes réalisées dans la zone sylvo-pastorale du Ferlo au Sénégal, l’anthropologue Abdou Ka (Université de Dakar) a étudié la mutation des pratiques alimentaires au sein de la population peule vivant dans cette région.
L’analyse des récits alimentaires a mis en évidence une époque dite du Ferlo fertile, avant 1972, au cours de laquelle les habitants vivaient principalement de l’élevage bovin, de la culture du mil, de chasse et de cueillette. Cette période se caractérise par la consommation de plats à base de mil, de niébé (légumineuse), de lait, de viande issue de la chasse et de végétaux sauvages.
L’époque fertile a pris fin après la grave sécheresse qui a touché le Sahel en 1972. Cette crise climatique a été à l’origine d’une nouvelle ère marquée par l’aridité des terres et la dépendance économique à l’aide internationale. La société peule du Ferlo s’est alors réorganisée en profondeur ; elle a abandonné l’agriculture au profit de l’élevage ovin et caprin, permettant aux habitants de réaliser des achats les jours de marché. Les consommations alimentaires ont, elles aussi, été fortement modifiées : c’est le riz, d’abord fourni par l’aide internationale puis importé, qui prédomine désormais à tous les repas, accompagné de poissons en sauce ou de niébé. Les pâtes alimentaires ont remplacé le mil au cours des repas de fête et les cubes de bouillon, souvent utilisés en excès, ont pris la place des plantes condimentaires pour l’assaisonnement.
Les enquêtes révèlent que ces modifications alimentaires sont considérées par les habitants comme responsables de l’apparition des maladies cardiovasculaires et du diabète. Les récents projets de développement mis en place dans la zone du Ferlo laissent envisager de nouveaux changements alimentaires à venir pour cette population.
La Réunion : entre transition nutritionnelle rapide et alimentation traditionnelle (Laurence Tibère)
Devenue département français en 1946, l’île de La Réunion a connu les effets de l’implantation du modèle métropolitain à partir des années 60. La Réunion vit, depuis, une transition nutritionnelle caractérisée par le passage très rapide d’une alimentation structurée autour des pénuries, à un régime de type occidental marqué par l’abondance. A travers 48 entretiens individuels et 530 questionnaires recueillis en 2006, la sociologue Laurence Tibère (Université de Toulouse) a étudié les différentes composantes de cette mutation alimentaire.
Les résultats mettent tout d’abord en lumière la place toujours très importante du repas créole typique. La structure traditionnelle de ce repas, autour du riz, des légumes secs, du cari (mode de préparation de la viande ou du poisson en sauce) et du piment est toujours très présente. Elle a cependant été modifiée, en particulier par l’addition des desserts ou le changement de statut de la viande, qui, d’ingrédient festif est devenu un aliment quotidien.
En parallèle de cette persistance du repas créole, de nouvelles formes de consommations sont apparues. La restauration rapide tient par exemple aujourd’hui une place notable dans l’alimentation réunionnaise et est associée à une augmentation des prises alimentaires hors repas.
En conclusion, l’auteur insiste sur le fait que les représentations du « bien manger » à La Réunion sont encore très marquées par l’ancienne situation alimentaire. Par ailleurs, même si les messages sanitaires liés à l’alimentation semblent être connus des Réunionnais, la santé n’apparaît pas comme une valeur phare dans la détermination de leurs choix alimentaires.
La nouvelle alimentation nordique : des atouts pour la santé humaine (Thomas Meinert Larsen)
Le concept de nouvelle alimentation nordique (« New Nordic Diet » ou NND) a été proposé dans le cadre du projet OPUS, par des chercheurs et des chefs danois renommés. Cette suggestion de mutation de l’alimentation danoise repose sur une dizaine de piliers tels que l’augmentation de la consommation de fruits, légumes, céréales complètes et produits de la mer et la diminution de la consommation de viande. Elle promeut par ailleurs la consommation d’aliments biologiques et de plats « faits maison ». Un essai contrôlé randomisé, réalisé pendant 6 mois auprès de 181 adultes, a permis de comparer les effets sur la santé d’une alimentation strictement basée sur ces principes, comparativement à une alimentation danoise moyenne.
A l’issue de la période d’intervention, le groupe ayant suivi la NND a bénéficié d’une perte de poids supérieure de 3,22 kg comparativement au groupe contrôle (IC95% = [1,81 ; 4,62], P < 0,001). Cette perte de poids accrue a été accompagnée de diminutions significatives des tours de taille et de hanche et d’une baisse de la pression artérielle. Le suivi de la NND semble également protecteur vis-à-vis des facteurs de risque des maladies cardiovasculaires et du diabète de type 2, en particulier chez les sujets les plus à risque.
En conclusion, les auteurs mettent en avant le potentiel de la NND pour prévenir du surpoids, des maladies cardiovasculaires et du diabète, en particulier chez les personnes à risque. Par ailleurs, les atouts environnementaux de la NND ont été mis en évidence dans d’autres études. Un frein à son adoption pourrait cependant être son coût, évalué comme étant 25 % supérieur à celui de l’alimentation danoise moyenne.
Journées francophones de nutrition, Nantes, décembre 2017