Les Journées Francophones de Nutrition 2018 se sont déroulées à Nice, du 28 au 30 novembre. Nous vous proposons de revenir sur quelques interventions marquantes concernant les orthorexies et l’anorexie.
Orthorexies : le point de vue du sociologue
L’orthorexie a été initialement définie en 1997 comme une obsession autour de la nourriture saine. Aujourd’hui, on emploie ce terme préférentiellement au pluriel, tant il regroupe une pluralité de modes alimentaires. La sociologue Virginie Wolff (Université de Strasbourg) présente comment les orthorexies sont aujourd’hui comprises et décrites au sein de sa discipline.
La sociologie met tout d’abord en évidence que chaque personne orthorexique trace ses propres frontières entre le sain et le malsain : rejet des aliments industriels, rejet du sucre raffiné, élimination des graisses saturées, consommation stricte d’aliments « bio », etc. Par ces choix individualisés, la personne orthorexique, au-delà des considérations de santé, acte également son refus d’adhérer à certains aspects de la société, comme par exemple la société industrielle.
L’alimentation devient, pour la personne orthorexique, un moyen pour reprendre le contrôle de son corps, mais aussi de sa vie : « mettre de l’ordre dans leur assiette contribue à mettre de l’ordre dans leur vie » déclare la sociologue. La personne orthorexique se fixe une éthique alimentaire rigoureuse composée de règles strictes qu’elle s’astreint à respecter quotidiennement, concernant le choix des aliments, leurs modes de cuisson et leurs conditions de consommation.
Les orthorexies ont des répercussions importantes sur la vie sociale de la personne et sur la gestion de son temps, mais ces changements ne sont en général pas mal vécus. Au contraire, la personne orthorexique se voit dans un processus positif vers un mode de vie plus sain et une prise de conscience plus aigüe des enjeux de société. Aussi, le manger sain est souvent considéré comme une opportunité pour intégrer de la connaissance.
En conclusion, Virginie Wolff insiste sur le fait qu’il n’y a pas de profil type de la personne orthorexique. Il s’agit d’une population hétérogène sur le plan des catégories socioprofessionnelles, même si un capital culturel minimal est indispensable pour être en mesure de trouver et traiter les informations nécessaires à la construction de leur mode alimentaire individualisé.
Orthorexies : le point de vue du psychiatre
Le professeur Philip Gorwood (Hôpital Sainte-Anne, Paris) met en avant la difficulté à définir les orthorexies. Selon lui, ces préoccupations excessives pour une nourriture saine peuvent avoir plusieurs niveaux de sévérité : proche de la normalité, ou à la frange de la maladie mentale. Cette difficulté à définir les orthorexies se répercute dans la qualité, souvent médiocre, des instruments de mesure disponibles et rend complexe l’établissement de données de prévalence fiables.
Les quatre symptômes principaux qui permettent de repérer une orthorexie sont :
- une préoccupation pour un régime spécifique ressenti comme facilitant la bonne santé;
- un haut niveau de stress face à des choix alimentaires ressentis comme malsains;
- une peur exagérée de maladies en cas de non-respect des règles diététiques ;
- des restrictions alimentaires (qualitatives) s’aggravant avec le temps qui amènent à l’élimination complète de certaines catégories d’aliments.
Ces quatre symptômes, selon le professeur Gorwood, placent les orthorexies à la frontière du Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC), du Trouble du Comportement Alimentaire (TCA) et de l’autisme.
On ne peut cependant pas considérer les orthorexies comme des TCA et, même si les trois traits de personnalité les plus saillants chez les orthorexiques sont communs avec ceux des personnes souffrant de TCA (et de TOC) :
- évitement de la douleur et du danger,
- intérêt pour le spirituel,
- sentiment d’insatisfaction vis-à-vis de la capacité à se prendre en charge,
une différence fondamentale avec l’anorexie réside dans le fait que la recherche de perte de poids n’est pas présente dans les orthorexies. Dans les études d’observation, l’orthorexie n’est d’ailleurs pas associée à l’Indice de Masse Corporelle.
En conclusion, les orthorexies peuvent donc être considérées, dans certains cas, comme de simples choix respectables de modèles alimentaires particuliers, mais la rigidité et la précocité des choix, l’inquiétude de pureté envahissante ou encore l’impact négatif sur le bien-être, sont à surveiller, car ils peuvent marquer le basculement vers un trouble psychiatrique.
Anorexie : quand s’alerter de la maigreur des adolescentes ?
La pédopsychiatre Emmanuelle DOR (Hôpitaux pédiatriques de Nice) présente les éléments clés à prendre en compte pour déceler une anorexie mentale chez les adolescentes. Elle rappelle que la maigreur chez l’adolescente se définit par un Indice de Masse Corporelle (IMC) inférieur au 3e percentile, qui correspond par exemple à un IMC inférieur à 16,2 kg/m² chez une fille de 16 ans ou 15,8 kg/m² chez une fille de 15 ans.
Face à une maigreur à l’adolescence, elle propose la démarche diagnostique suivante, permettant de déceler une anorexie mentale (cf. figure 1).
Au-delà des « changements de couloir » de la courbe de croissance staturale, les signes suivants peuvent être évocateurs d’une anorexie mentale :
- consultation pour un problème de poids ;
- retard pubertaire;
- aménorrhée ou cycles irréguliers plus de 2 ans après les premières règles ;
- hyperactivité physique;
- hyperinvestissement intellectuel.
Les principaux facteurs de risque connus sont les antécédents familiaux et certains traits de personnalité comme l’obsessionnalité ou l’anxiété.
Si l’anorexie peut être de type restrictif ou boulimique, dans les deux cas, les principaux symptômes sont les suivants :
- refus de maintenir un poids supérieur au poids minimum pour l’âge et la taille ;
- peur de prendre du poids ;
- perception altérée de l’image du corps ;
- déni de la gravité de la maigreur.
Pour prendre en charge les adolescentes anorexiques, la pédopsychiatre met en avant l’importance de travailler en réseau, le caractère indispensable d’une prise en charge familiale, ainsi que les résultats positifs que peuvent apporter certains ateliers thérapeutiques tels que ceux basés sur la sensorialité et la gestion des émotions.