Les Journées Francophones de Nutrition 2022 (JFN 2022) ont eu lieu cette année à Toulouse entre le 16 et le 18 novembre. Plusieurs conférences ont fait le point sur les liens existant entre le régime alimentaire et l’apparition de certains troubles ou certaines pathologies.
Régimes alimentaires et inflammation
De nombreuses données de la littérature scientifique mettent en lumière les effets pro ou anti-inflammatoires de l’alimentation. Dre Alice Bellicha (EREN, Bobigny) présente une revue des études épidémiologiques examinant les liens entre l’alimentation, l’inflammation et la santé humaine.
Elle met tout d’abord en avant les associations entre l’ingestion de certains nutriments et l’inflammation dont les mécanismes ont déjà été bien décrits : rôle anti-inflammatoire des acides gras oméga 3 et des fibres alimentaires, effet pro-inflammatoire des sucres ajoutés.
Depuis 2010, on assiste à une multiplication des études examinant les liens entre l’inflammation et la consommation d’aliments ou de groupes d’aliments. Ces travaux mettent en évidence des associations entre la consommation de certains aliments et la concentration de CRP (Protéine C-Réactive) qui est un marqueur biologique de l’inflammation. Si la consommation de céréales complètes, de fruits, de légumes et de produits laitiers est associée à une diminution de la CRP, celle de viande rouge semble, au contraire, augmenter le risque inflammatoire.
D’autres méthodes épidémiologiques permettent d’évaluer les effets des profils alimentaires sur l’inflammation : plusieurs méta-analyses ont suggéré un effet protecteur du régime méditerranéen ou encore du régime DASH (Dietary Approaches to Stopping Hypertension) qui est riche en fruits, légumes et produits laitiers à faible teneur en matières grasses. Les propriétés protectrices du régime méditerranéen seraient attribuées à sa richesse en polyphénols, lycopène, acides gras oméga 3 et en vitamines et impliqueraient une réduction des cytokines pro-inflammatoires.
Alice Bellicha présente ensuite l’index DII (Dietary Inflammatory Index) qui est un score qui permet d’évaluer spécifiquement le caractère pro-inflammatoire de l’alimentation. Ce score a été développé à partir de l’examen de près de 2000 articles scientifiques. Plusieurs études épidémiologiques et méta-analyses ont montré que la hausse du DII (qui correspond donc à la hausse du potentiel inflammatoire du régime) est associée à l’augmentation du risque d’apparition de nombreuses pathologies, en particulier :
- la dépression,
- le cancer colorectal,
- les maladies cardiovasculaires,
- et le diabète de type 2.
Un score DII plus élevé est également associé à une mortalité plus élevée et en particulier à la mortalité cardiovasculaire.
Pour conclure, la chercheuse insiste sur le fait que ces nombreuses données épidémiologiques, associées aux études mécanistiques, confirment la relation entre les différents profils alimentaires et le risque inflammatoire. Les régimes anti-inflammatoires (riches en fruits et légumes, céréales complètes et matières grasses de bonne qualité et pauvres en viande et produits sucrés) constituent une voie importante de promotion de la santé.
Régimes alimentaires et sarcopénie
Dr Stéphane Walrand (Université Clermont Auvergne, Clermont-Ferrand) fait le point sur l’état des connaissances concernant les liens entre la sarcopénie et l’alimentation. Il rappelle qu’une réduction de la force musculaire chez le sujet âgé correspond à une sarcopénie probable. La sarcopénie est confirmée s’il y a, en plus, une réduction de la masse et de la qualité musculaires. Enfin, la sarcopénie est considérée comme sévère si une baisse des performances physiques se surajoute.
La sarcopénie étant liée à une diminution de la capacité de synthèse protéique au sein du muscle, la stratégie alimentaire de base pour prévenir et lutter contre la sarcopénie s’appuie sur l’apport protéique alimentaire. Les RNP françaises (Références Nutritionnelles pour la Population) recommandent, pour les personnes âgées de plus de 70 ans, un apport de 1 g de protéines de bonne qualité par kg de poids corporel et par jour. Stéphane Walrand insiste sur la notion de protéine de bonne qualité qui prend en compte en particulier :
- la digestibilité ;
- la composition en acides aminés indispensables ;
- la vitesse d’assimilation (une assimilation rapide est plus favorable au maintien de la masse musculaire) ;
- la chronobiologie de son apport (un apport minimal de 20 g par prise protéique est recommandé) ;
Au-delà de l’apport protéique, les données de la littérature montrent que la sarcopénie est également liée à d’autres déficits nutritionnels :
- les statuts en vitamine D et en vitamine B12 sont par exemple fortement associés à la force et à la masse musculaires chez les personnes âgées.
- la sarcopénie est aussi associée aux apports en acides gras polyinsaturés oméga 3 et en acides gras monoinsaturés. L’acide oléique et les polyphénols présents dans l’huile d’olive auraient par exemple un effet bénéfique pour préserver la masse musculaire des seniors.
- Un déficit en antioxydants serait aussi associé à la sarcopénie ; des concentrations plasmatiques basses en vitamine C, sélénium, caroténoïdes ou vitamine E sont en effet liées à des diminutions de la vitesse de la marche et de la force de serrage de la main.
Enfin, Stéphane Walrand ajoute que l’état du microbiote joue un rôle important dans le développement de la sarcopénie. En effet, avec l’âge, on observe une réduction de la qualité du microbiote. Des stratégies alimentaires modifiant le microbiote par l’apport de probiotiques ou de prébiotiques auraient des effets bénéfiques pour se préserver de la sarcopénie. Des études ont par exemple montré qu’une alimentation riche en fructo-oligosaccharides (FOS)peut améliorer la composition du microbiote de patients sarcopéniques (enrichissement de l’abondance relative du genre bifidobacterium) et augmenter la masse musculaire.
Pour conclure, ces données montrent l’importance de la quantité et de la qualité des protéines ingérées pour lutter contre la sarcopénie, mais aussi de l’environnement matriciel de cet apport protéique, de la qualité globale de l’alimentation et de sa densité nutritionnelle. Stéphane Walrand souligne l’intérêt de s’appuyer sur une approche basée sur la qualité globale du régime, plutôt que sur une approche par nutriment, dans la prévention de la sarcopénie chez la personne âgée.
Régimes alimentaires et démence
La démence est un syndrome correspondant à la coexistence d’un trouble de la mémoire et d’au moins une autre fonction cognitive (langage, orientation ou fonctions exécutives), avec un retentissement notable sur les activités de la vie quotidienne. La démence touche 1 million de personnes en France, avec 225 000 nouveaux cas par an. Dre Catherine Féart (INSERM, Bordeaux) rappelle que, si la génétique joue un rôle dans la survenue de la démence, de nombreux facteurs modifiables peuvent être protecteurs ou, au contraire, augmenter le risque de démence. Elle présente ces différents facteurs en insistant particulièrement sur les liens entre la démence et l’alimentation.
La chercheuse met tout d’abord en avant le fait que la démence est un syndrome qui se met en place bien avant l’apparition des premiers symptômes. Pour prévenir le déclenchement de la maladie, elle souligne l’importance de prendre soin, tout au long de sa vie, de :
- pratiquer une activité physique régulière ;
- avoir des activités cognitives stimulantes ;
- maintenir un lien social.
La consommation d’une alimentation de bonne qualité est aussi un facteur protecteur vis-à-vis du risque de démence. Plusieurs nutriments ou aliments sont susceptibles de favoriser le maintien d’une bonne santé mentale. Catherine Féart cite en particulier les acides gras polyinsaturés présents dans les poissons gras, les polyphénols des fruits et légumes, la lutéine que l’on trouve dans les légumes à feuilles vertes ou encore l’huile d’olive.
La vitamine D est, elle aussi, un facteur nutritionnel protecteur vis-à-vis de la démence. Elle est susceptible d’agir à différents niveaux, tels que la neurogénèse, la synaptogénèse, le différenciation neuronale ou encore la plasticité synaptique. Les résultats épidémiologiques concernant les liens entre la vitamine D et la démence sont pour la plupart concordants et robustes. Un taux bas de vitamine D (concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D inférieure à 20 ng/mL) multiplierait le risque de démence par plus de 1,3.
Au-delà de l’association statistique, plusieurs travaux de recherche vont dans le sens d’une recherche de causalité concernant les taux faibles de vitamine D et la survenue de la démence. Une relation dose effet a été mise en évidence : pour les concentrations de 25(OH)D inférieures à 30 ng/mL, plus le taux est bas, plus le risque de démence augmente. Par contre, aucun effet de la supplémentation en vitamine D sur l’apparition de la démence n’a pu être jusqu’à présent démontré. Catherine Féart relève la difficulté méthodologique à montrer les bénéfices d’une supplémentation, la durée de supplémentation étant très courte, alors que la maladie s’installe très lentement.
En conclusion, ces données montrent l’importance que peuvent avoir les comportements, tout au long de la vie, dans la prévention de la démence. Concernant l’alimentation, si le maintien d’un taux suffisant de vitamine D semble indispensable, c’est le suivi d’un régime alimentaire de bonne qualité qui est surtout mis en avant par la chercheuse (NDLR : selon l’ANSES, les principaux aliments contributeurs aux apports en vitamine D dans la population française sont les poissons et les produits laitiers (yaourts, fromage blanc, fromage, lait) qui contribuent respectivement à 19 % et 25 % des apports chez les adultes).