Une session des JFN 2021 a été consacrée à la précarité et à ses conséquences en termes d’alimentation et de santé. Retour sur deux interventions de cette session qui proposent des pistes pour limiter l’impact de la précarité sur la nutrition et la santé.
Surpoids, précarité et lieu de vie
Thierry Feuillet (Paris), géographe de la santé, étudie les liens entre l’environnement socio-économique et l’obésité. Dans un article récent, il tente de répondre à la question suivante : existe-t-il une relation entre la précarité sociale du lieu de vie et la probabilité de surpoids et d’obésité ? Les données de 68 000 personnes vivant sur l’ensemble du territoire français et issues de la cohorte Nutrinet-Santé ont été utilisées. L’indice de défaveur sociale français (Fdep) a été calculé au niveau des unités administratives nommées IRIS (îlots regroupés pour l’information statistique) qui constituent chacun un « micro quartier » regroupant 2 000 habitants ou plus. Le Fdep est un indice standardisé et fortement corrélé au revenu médian et aux pourcentages d’ouvriers, de bacheliers et de chômeurs de l’IRIS considéré.
Les résultats montrent que :
- la prévalence du surpoids suit clairement un gradient d’urbanité : cette prévalence est de 22 % au niveau de Paris intra-muros, 27 % dans les centres-villes des grandes aires urbaines, 31 % dans les communes de la banlieue de Paris. Elle s’élève même jusqu’à 39 % dans les communes rurales ;
- plus la défaveur sociale mesurée par le Fdep augmente, plus la probabilité d’être en situation de surpoids s’élève. L’hypothèse la plus probable expliquant cette relation serait que les quartiers les plus défavorisés sont aussi les moins favorables à des comportements sains en termes d’activité physique (moins d’aménagements) et d’alimentation (paysage alimentaire moins diversifié) ;
- cette relation entre le niveau de défaveur sociale de son quartier de résidence et le surpoids est d’intensité variable en fonction des territoires : elle est très forte en banlieue parisienne, d’intensité moyenne dans les centres-villes des grandes aires urbaines et absente dans la couronne périurbaine de Paris ou en milieu rural. Cela signifie qu’il ne faut pas tenir uniquement compte du niveau de défaveur sociale du quartier de résidence, mais aussi de la position de ce quartier. Le fait qu’un quartier soit socialement défavorisé n’a pas le même impact sur la prévalence du surpoids s’il est situé dans une grande ville, en banlieue de cette ville ou en milieu rural.
Pour conclure, Thierry Feuillet insiste sur les implications de cette étude en termes de santé publique : elle peut permettre de mieux cibler, en fonction des territoires, les interventions en direction des groupes de populations défavorisées pour promouvoir des comportements plus sains.
Limites de l’aide alimentaire et perspectives pour repenser la lutte contre la précarité alimentaire en France
Nicole Darmon (Montpellier) rappelle que l’insécurité alimentaire est constatée lorsque la disponibilité d’aliments sûrs et adéquats sur le plan nutritionnel ou la possibilité d’acquérir des aliments appropriés par des moyens socialement acceptables est limitée ou incertaine. Selon l’étude INCA 3, au moins huit millions de personnes seraient en situation d’insécurité alimentaire en France. Nicole Darmon précise qu’en France, c’est plutôt le terme de précarité alimentaire qui est employé dans les textes de loi ou le monde associatif, mais qu’il n’en existe pas de définition officielle ou d’instrument de mesure validé.
La chercheuse met ensuite en lumière le fait que, pour lutter contre la précarité alimentaire, la réponse de l’Etat français et de l’Europe, depuis plusieurs dizaines d’années, est l’aide alimentaire. Ce système est principalement basé sur des dons de denrées alimentaires, il est massivement délégué au monde associatif et est dépendant des subventions institutionnelles, du gaspillage et du bénévolat.
Ce système d’aide alimentaire présente de nombreuses limites. En particulier, il ne touche qu’une partie des personnes en situation d’insécurité alimentaire et il ne permet de couvrir que partiellement les besoins de ses utilisateurs (environ 40 % des besoins énergétiques en moyenne). Nicole Darmon met aussi en avant les difficultés de fonctionnement de ce système, en particulier logistiques, ainsi que la dépendance aux dons en nature dont les associations ne maîtrisent pas toujours le contenu.
Dans un rapport disponible en ligne1, Nicole Darmon, accompagnée d’autres chercheurs, propose des pistes de réflexion pour passer d’un système curatif de lutte contre la précarité alimentaire à un système de prévention de l’insécurité alimentaire. Dans ce cadre, les experts définissent le concept de sécurité alimentaire durable qui existe lorsque tous les individus ont un accès (économique, physique et social) égalitaire à une alimentation durable de manière coordonnée et pérenne.
Une des propositions phare de ce rapport est la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) qui correspond à une allocation universelle dédiée à l’alimentation durable, dont le mode d’organisation et de financement se fonderait sur le système des caisses de Sécurité Sociale. La SSA, financée par la cotisation sociale, permettrait un accès à des produits et/ou des lieux conventionnés dont les critères de conventionnement seraient élaborés démocratiquement dans les territoires.
Pour lutter contre la précarité alimentaire, Nicole Darmon insiste sur l’importance de passer du système curatif actuel à un système préventif permettant une sécurité alimentaire durable. Elle met en lumière la nécessité de mettre en place des mesures d’universalisme proportionné, dont l’intensité serait proportionnelle au niveau de défaveur sociale.