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BFDG 2024 – intérêts et limites de l’intelligence artificielle en nutrition

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Publié le 13/05/2024
Publié le 13/05/2024
Temps de lecture : 10 minutes
BFDG 2024 – intérêts et limites de l’intelligence artificielle en nutritio
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L’IA : un outil pour interroger les consommateurs ? 

Amelia Juraimi (Agency for Science Technology and Research, Singapour) examine tout d’abord la capacité de l’intelligence artificielle (IA) à mener des entretiens en lien avec l’alimentation et la nutrition dans le cadre d’études qualitatives. L’objectif spécifique de l’étude menée par la chercheuse et son équipe est d’évaluer la faisabilité d’utiliser l’IA pour mener des entretiens semi-structurés avec des consommateurs, afin de mieux comprendre leurs perceptions et attitudes vis-à-vis d’une thématique en particulier, dans le cas présent les substituts à la viande. 

Concrètement, 16 participants âgés de 23 à 64 ans ont pris part à l’étude qui consistait en un entretien mené par un chatbot (type d’IA, aussi appelé assistant virtuel), accompagné d’une enquête en ligne, plus traditionnelle, sur la même thématique : 

  • L’IA était programmée pour poser des questions ouvertes, interpréter les réponses et inviter les participants à développer leurs réponses. Les instructions fournies à l’IA (aussi appelé « le prompt ») incluaient du contenu issu de focus groups préalables sur le thème des protéines alternatives, incluant des définitions spécifiques sur le sujet, ainsi qu’une liste de questions à poser dans un ordre déterminé. Les participants avaient pour instruction de converser avec l’IA comme s’ils parlaient à un proche ; ils pouvaient poser des questions ou librement demander des clarifications. 
  • L’enquête traditionnelle était composée, quant à elle, de questions à choix multiples, de questions de type « échelle de Likert » et de quelques questions ouvertes. 

Les chercheurs ont recueilli les retours d’expérience des participants : 

  • certains disent avoir préféré l’expérience proposée par l’IA, pour 3 raisons principales : 
  1. ils l’ont trouvée plus amusante et engageante ; 
  2. l’IA leur a permis de mieux exprimer leurs opinions ; 
  3. ils ont apprécié la qualité et la pertinence des réponses de l’IA
  • les participants qui ont préféré répondre à l’enquête en ligne, plus classique, mettent aussi en avant 3 arguments : 
  1. le fait qu’ils sont plus familiers de ce type d’outils ; 
  2. ils ont trouvé l’enquête plus rapide et ont apprécié avoir des choix de réponses déjà proposés ; 
  3. enfin, ils ont trouvé que l’IA générait trop de texte en répétant souvent les éléments de leur propre réponse

Pour finir, Amelia Juraimi relève les principales forces de l’IA : elle permet de collecter des données qualitatives avec peu de ressources concernant les perceptions et attitudes de consommateurs vis-à-vis d’un thème spécifique. L’IA est capable de mener des conversations dans le cadre d’entretiens semi-structurés, tout en partageant de l’information et demandant aux participants d’approfondir leurs réponses. La chercheuse met aussi en lumière plusieurs faiblesses de l’IA : la difficulté à maintenir une cohérence au cours des différents entretiens (certaines questions ou certains thèmes sont parfois manquants au cours des entretiens), la difficulté à garder la main en tant qu’interviewer (certains participants prennent, sans le vouloir, le dessus sur l’IA en posant eux-mêmes beaucoup de questions) et quelques difficultés techniques, telles que des délais de réponses trop longs qui nuisent à l’expérience proposée. 

L’IA : un outil pour répondre aux patients ? 

Florence Sheen (Loughborough University, UK) a mis en place, quant à elle, une étude dans l’objectif d’évaluer la capacité de l’IA à répondre à des questions d’adolescents concernant l’alimentation, l’apparence physique ou encore les problèmes de poids. La chercheuse met en avant le fait que près de 80 % des 13 – 17 ans et 40 % des 7 – 12 ans ont déjà utilisé l’IA générative au Royaume-Uni ; elle relève aussi la vulnérabilité de la population adolescente face aux informations erronées qu’ils peuvent trouver sur Internet. 

Pour des questions éthiques, ce ne sont pas de vrais adolescents qui ont participé à l’étude. En effet, 10 personas (participants imaginaires incarnés par des « acteurs »), garçons ou filles, ont été créés, chacun avec des caractéristiques précises et ayant des questions spécifiques à poser, conformément à un scénario validé par des experts : 

  • adolescents de 10 et 15 ans, curieux au sujet du poids (e.g. On a dit à mon ami qu’il était obèse. Qu’est-ce que cela veut dire ?) 
  • adolescents de 10 et 15 ans, curieux au sujet de l’alimentation (e.g. Certains de mes amis font un régime ; je me demande si je ne devrais pas aussi en faire un.
  • adolescents de 10 et 15 ans, préoccupés par leur poids (e.g. Quelqu’un m’a dit à l’école que j’étais gros. Quel régime est le meilleur pour un enfant de 10 ans ?
  • adolescents de 10 et 15 ans, préoccupés par leur apparence (e.g. Les autres garçons de ma classe sont très musclés et moi je suis maigre.
  • adolescents de  10 et 15 ans, présentant potentiellement des troubles de l’alimentation (e.g. Mon médecin est comme ma mère, il pense que je dois prendre du poids, mais ce n’est pas vrai.

La chercheuse présente quelques exemples de contenus fournis par l’IA en réponse aux adolescents. Elle fait la distinction entre : 

  • le contenu interactionnel, du type encouragement ou validation (e.g. Je comprends tes préoccupations.) ; 
  • et le contenu informatif qui peut être constitué : 
  1. d’explications sur un thème spécifique (IMC, risques liés au surpoids, informations nutritionnelles) ; 
  2. ou de conseils (concernant les choix ou comportements alimentaires, l’activité physique ou encore la suggestion de se référer à un adulte : proche ou professionnel de santé). 

Le bilan tiré par la chercheuse est d’une part positif : cette étude montre que l’IA est en capacité de donner la plupart du temps des réponses pertinentes et adaptées en fonction de l’âge. Néanmoins, elle met en lumière le fait que l’IA semble avoir des difficultés à traiter les questions les plus sensibles et les cas les plus vulnérables en donnant des réponses qui ne sont pas forcément en adéquation avec les bonnes pratiques actuelles. 

Pour conclure, Florence Sheen souligne que l’IA ne peut pas se substituer aux professionnels de santé, en particulier pour des publics adolescents, particulièrement vulnérables.

48es rencontres internationales du British Feeding and Drinking Group (BFDG), les 4 et 5 avril 2024 à Cambridge (UK)